
QUI E ORA.
Vittorio Sgarbi
ICI ET MAINTENANT
Vittorio Sgarbi
Marco Benedetti est un homme d’une grande gentillesse, et de convictions. Nous avons une relation indirecte mais de confiance, qui passe par Filippo Martinez et la grande entreprise à trois que fut en Sardaigne, dans le cimetière de Sestu, la tombe (un mot imprononçable) d’Emanuela Loi, un des agents de l’escorte de Paolo Borsellino, tuée dans l’attentat de via D’Amelio à Palerme. Benedetti a inventé ce que j’ai toujours vu comme la contradiction inhérente au mystère de la mort : un être cher décède et l’on dit qu’il va au ciel mais en réalité, on le met sous terre. Étrange façon d’aller au ciel ! Dans son dialogue avec Martinez, Benedetti a créé un sépulcre renversé en installant, à la place de la pierre tombale, de l’eau et des miroirs. De sorte que ceux qui tourneraient le regard vers l’idée d’Emanuela, c’est-à-dire de son âme, verraient le ciel. Je me suis rendu à Sestu et j’ai parlé de cette femme extraordinaire et disparue, non comme si elle était enterrée là, mais comme si elle était réellement montée dans ce ciel que reflétait la belle invention de Marco.
Par la suite, j’ai vu ses tableaux, sévères et concentrés, de goût plus germanique qu’italien et qui, en dépit de leur simplicité, plaisent aux hommes cultivés et compliqués, peut-être parce qu’ils possèdent quelque chose d’essentiel qui leur confère de la complexité et de la profondeur. À présent, avec quelques-unes de ses sculptures, Benedetti les montre à Paris et il se fait simple, synthétique, «néo-giottesque ». Il sculpte et peint des animaux qui appartiennent à son zoo personnel, dans lequel ils ne sont pas en captivité mais semblent libres comme dans un rêve où rien ne ressemble à la réalité, mais en a l’apparence. Les créations de Benedetti, irréelles, ont une consistance bien à elles, précise et concrète, qui ne concède rien à une surréalité hypothétique. Elles ont leur propre réalité. Nous ignorons d’où elles proviennent, sinon de l’imagination de Benedetti, de même que nous ignorons où lui-même se trouve. Sûrement dans un autre monde pendant qu’il se meut, sage et tranquille, dans le nôtre, où il entre et d’où il sort au gré de son talent. Aujourd’hui il est là, demain il sera ailleurs. Je l’ai vu une nuit à Ortisei où il était venu à son insu, sereinement ; le lendemain matin, il avait disparu. Comme lui, ses créations sont là et ne sont pas là. Elles restent, quoi qu’il en soit, inévitables. Et aujourd’hui, vous les voyez à Paris, simples, archaïques, primitives, spontanées, dans une enfance sans fin. Inutile d’en chercher le sens, alors que notre vie elle-même n’en a pas.
29 mars 2022